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Quillan, bourg d'environ deux mille âmes, est bâti sur les bords de l'Aude, au milieu d'une petite plaine resserrée dans un cirque de montagnes. Quand, en sortant du bourg, on se dirige vers Perpignan, on a devant soi une haute falaise de rochers calcaires dont les cimes, en partie dénudées, en partie couronnées de noires forêts de sapins, découpent leurs capricieuses dentelures sur l'azur du ciel. La route se dirige vers cette falaise, dans laquelle on n'aperçoit d'abord aucune ouverture, et d'où cependant semblent sortir les eaux bouillonnantes de la rivière. On passe au pied du petit village de Belvianes ; puis, au détour d'un pli de terrain, on se trouve tout à coup au pied des masses calcaires qui ferment la vallée.

Une fissure profonde, taillée à pic, apparaît alors dans le massif. Les eaux impétueuses du torrent, qui se sont creusé ce passage, l'occupaient seules autrefois, et, sur une longueur de quatre kilomètres, ce défilé sauvage, appelé défilé de la Pierre-Lys, était absolument inabordable. Il fallait s'élever sur les plateaux qui le dominent, et faire des détours longs et pénibles pour descendre par des sentiers de chèvres au village de Saint-Martin, perdu au milieu d'un chaos de rochers immenses, d'où l'on pouvait gagner Axat, et de là, la route de Caudiès et de Perpignan. Cette route, venant de Quillan, était obligée d'aller chercher dans une autre direction un passage plus facile, qu'elle n'atteignait encore qu'au moyen de rampes d'une longueur et d'une roideur excessives.

Tel était l'état des choses lorsque, il y a cinquante ans environ, un modeste prêtre, nommé Félix Armand, curé de Saint-Martin, conçut le projet de briser la barrière qui séparait son village du reste du monde. Il se mit à la tête des montagnards, et, le pic à la main, il attaqua le roc, et traça un étroit chemin suspendu sur l'abîme. À l'entrée même du défilé, un roc énorme, qui semblait placé là comme une sentinelle formidable, barrait le passage ; le courageux abbé n'hésita pas : il attaqua le roc par le milieu et le perça de part en part. Ce petit tunnel, long de six ou sept mètres, qui a été élargi depuis, porte un nom caractéristique : on l'appelle dans le pays « le Trou du Curé ».

Félix Armand venait d'accomplir une œuvre d'une haute utilité, non seulement pour son village, mais pour le pays tout entier. Il mettait en communication directe avec Quillan et le reste du département toute une région considérable, riche en forêts, en bestiaux, en fourrages, en sources thermales et minérales, que l'isolement et le manque de débouchés condamnaient auparavant à végéter péniblement. Du jour où le Trou du Curé fût percé, les relations s'établirent et ne cessèrent de se développer, en exigeant en même temps l'amélioration du modeste sentier primitif. Ce fut d'abord un chemin vicinal, où les charrettes ne pouvaient passer, mais où circulait cependant, durant la belle saison, la curieuse carriole, d'un modèle tout spécial, qui transportait les infirmes aux bains de Carcanières ou d'Escouloubre. En 1855, le chemin fut transformé en route départementale ; on perça alors, à l'extrémité sud du défilé, un souterrain de quatre-vingts mètres de long, qui traverse un contre-fort que l'ancien chemin contournait. Aujourd'hui, la route départementale, devenue route nationale de Bayonne à Perpignan, est de nouveau élargie et améliorée, et bientôt peut-être le sifflet des locomotives retentira dans ces gorges, encore inaccessibles il y a cinquante ans.

Les quatre vers suivants sont écrits sur le roc, au-dessus du Trou du Curé, du côté de Quillan :

    Arrête, voyageur ! le Maître des humains
    A fait descendre ici la force et la lumière ;
    II a dit au pasteur : «Accomplis mes desseins. »
    Et le pasteur des monts a brisé la barrière.

 

Cette inscription, moins recommandable par la forme que par l'intention, a le tort de ne pas rappeler le nom de Félix Armand. La ville de Quillan voulut, il y a quelques années, consacrer par un monument public le souvenir du pasteur ; elle décida qu'une statue lui serait élevée sur une de ses places. Déjà les fonds étaient réunis; la statue même, si je ne me trompe, était commandée à un de nos sculpteurs en renom, lorsque éclata la funeste guerre de 1870. L'argent reçut une autre destination, et depuis ce moment on n'entendit plus parler du projet. Mais il n'est pas abandonné, et tôt ou tard, sans doute, il sera repris et réalisé.

Quand on a franchi le Trou du Curé, on est saisi à la fois par la grandeur du spectacle et par la variété des aspects qui s'offrent successivement à l'œil étonné. Ici, c'est une immense muraille de calcaire qui plonge à pic dans la rivière; là, des rochers gigantesques, dont les sommets se découpent en pointes et en aiguilles de la façon la plus bizarre et la plus hardie, semblent ne tenir debout que par des miracles d'équilibre ; ailleurs, c'est un chaos de blocs énormes, écroulement colossal de quelque masse minée par les siècles. La route serpente au milieu de ces horreurs, s'accroche aux flancs de la montagne, se suspend sur la rivière ; à certains endroits, le roc, creusé par-dessous pour lui livrer passage, surplombe au-dessus d'elle de toute sa largeur, suspendu dans le vide comme une voûte dont un des pieds-droits aurait disparu. Enfin, après avoir franchi un tunnel de seize mètres, creusé l'année dernière, et, immédiatement après, le souterrain de quatre-vingts mètres percé en 1855, on arrive au petit village de Saint-Martin, où se voient les ruines d'une ancienne abbaye. De ce point jusqu'au village d'Axat, situé à douze kilomètres de Quillan, la vallée s'élargit un peu, mais sans cesser d'être sauvage et grandiose.

Axat, dominé par les ruines de son vieux château, présente l'aspect le plus pittoresque. Au delà de ce village, la vallée se resserre de nouveau, et l'on arrive aux gorges de Saint-Georges, second défilé moins allongé que celui de la Pierre-Lys, mais non moins imposant.

De nouvelles surprises attendent le voyageur qui, continuant à remonter le cours de l'Aude, s'engage dans les forêts antiques qui couvrent les pentes abruptes de la montagne, et où l'on chassait encore l'ours il n'y a pas bien longtemps, Un sentier étroit, construit récemment et entretenu aux frais de l'État, est d'ailleurs le seul chemin qui s'offre à lui, en attendant qu'une route nationale, actuellement en construction, ait ouvert à !a circulation et à la civilisation ces gorges sauvages, au fond desquelles la nature a fait jaillir d'abondanfes sources thermo-minérales dont la valeur est scientifiquement constatée, mais qui sont restées jusqu'ici presque inaccessibles.

Texte et images extraits de « Le Magasin Pittoresque » 1878.

 

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