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Ceux que ce sujet intéresse peuvent télécharger et lire/imprimer le texte de Jean Fourié d'Espéraza : "Le flottage du bois sur l'Aude". Ce texte, au format ".pdf", est extrait de "Quillan Information", numéro 32, de mars 1984. Pour cela, cliquez ICI. |
Le transport du bois par flottage et
la radellerie
Avant la
construction de la voie de chemin de fer Carcassonne-Quillan, le bois était
transporté sur la rivière d'Aude, au moyen de radeaux : « carrasses »
conduits par des professionnels : les « carrassiers ».
Un carras
se composait d'une douzaine d’arbres, attachés ensemble par des liens de
noisetier, de manière à former un radeau à deux étages superposés, sur lequel
on fixait quatre ou cinq planches, pour en faciliter la manœuvre.
On
dirigeait le radeau à l'aide d'un gouvernail placé à l'avant et formé d'un
timon pénétrant dans deux fortes attaches de noisetier, auquel était fixé un
treillis de jeunes pousses (de noisetier également) appelé « verdola »,
d'une longueur de 3 à 4 mètres et de forme triangulaire.
La conduite
du carras demandait une connaissance approfondie du cours de la rivière et une
expérience de la manœuvre qui ne s'acquerrait qu'avec la pratique. L'Aude est
une rivière torrentielle qui tantôt présente des rapides (raveches) tantôt des plages
(remolhs). Il s'agissait donc de profiter des uns et d'éviter les autres, ou de
les franchir sans trop de peine. En été, il fallait surtout se méfier des
endroits de la rivière où l'eau était peu profonde (magres). L'outillage qui
servait à la manoeuvre consistait surtout en un harpon de fer fixé au bout
d'une perche : « l’arpa ».
Un carras
ne descendait jamais seul. Ils étaient parfois 8 ou 10, 12 ou 15 et formaient
un véritable train flottant. Les radeaux conduits par des novices se mettaient
au centre. Il arrivait parfois que ceux-ci s'enlisent dans un banc de sable et
de gravier. Celui qui venait derrière essayait de le
dépanner d'un coup de boutoir.
S'il n'y
réussissait pas, on se mettait alors à plusieurs pour le pousser avec les
harpons, jusqu'à ce que le radeau ait retrouvé l'eau courante. Si le même
radeau, s'enlisait trop souvent, les anciens conducteurs disaient à son
conducteur : « Ton paire menabo carosses suls gravasses, tu los menarios
pas en plena mar. »
Quand les
radeaux étaient arrivés à destination, les carrassiers remontaient à pied à
Quillan où d'autres carras les attendaient.
Une
difficulté particulière pour le carrassier était le passage des chaussées (païcheras).
Bien qu'il y eût une glissière aménagée à cet effet (passa-lis) il fallait que
le carrassier, très habilement, et avec une grande rapidité de manoeuvre, au
moment où le carras piquait de l'avant, se portât aussitôt à l'arrière pour
revenir à l'avant dès que l'arrière plongeait à son tour dans l'eau. Sans cette
double manœuvre, le conducteur aurait été projeté à la rivière.
La terreur
des carrassiers était la crue : « l’aigat ». Si, par malheur, une crue
les surprenait en cours de route, ils amarraient le convoi aussitôt. Mais
souvent, les liens de noisetier se rompant sous la violence des eaux, les
radeaux se disloquaient et les arbres, emportés loin de leur destination,
étaient perdus pour leurs propriétaires.
Les
carrassiers étaient réputés pour leur bon appétit. Sans doute parce qu'ils vivaient
toujours sur l'eau. Ils s'arrêtaient souvent à Rouffiac d'Aude pour manger et passer
la nuit. Il y a en effet, près de Rouffiac, un endroit où la rivière à un cours
rectiligne et pas trop rapide où il était facile d'amarrer et fixer les radeaux.
Ils descendaient pour prendre le repas du soir dans une hôtellerie qui existait
encore il n'y a pas très longtemps. En hiver, la maîtresse de maison leur
servait souvent du millas et, comme les carrassiers attablés autour du plat, le
découpaient sans observer la symétrie, elle leur disait parfois : « Copatz
lo comé cal ! » (coupez le comme il faut), « l'enjolharem,
l'enjolharem » (nous le laisserons en bon ordre) répondaient-ils, et, en effet,
à la fin de la soirée, il n'en restait plus...
Le dernier
carras est passé à Roufflac vers 1900. Ce mode de transport du bois a été
remplacé par la charrette à boeufs, ensuite par le chemin de fer et, enfin, par
les camions. Peut-être le manque de carburants va-t-il faire revenir les carras
si primitifs mais si pittoresques.
Voici ce
qu'écrivait le Docteur Buzairies qui proposait aux baigneurs de Ginoles les
Bains la distraction suivante : « Pendant l'été, la rivière d'Aude
charrie bien souvent dans ses flots des convois de sapins ; les curieux
s'empressent alors de prendre place sur le pont vieux et de suivre de l'oeil le
mouvement désordonné des madriers, leurs chutes du haut des digues et les
efforts des harponneurs pour pousser vers le port ces produits des forêts
voisines. »
D'après Antoine Bourrel : « Le commerce des bois était particulièrement
florissant. Les sapins abattus dans la Haute-Vallée, descendaient l'Aude au gré
du courant ». C'était le flottage dit « à pièces perdues ».
Arrivés à Quillan on liait les arbres pour en former des radeaux que les
radeliers conduisaient vers Espéraza, vers Carcassonne et vers le Narbonnais.
Pour le passage des radeaux et des grumes, tous les barrages sur la rivière
étaient pourvus d'une sorte de porte, appelée en patois : « lé
passo-lis ».
Les
radeliers Quillanais avaient établi leur port près de l'embouchure du ruisseau
de la Jonquière (derrière l'immeuble actuel des Ponts et Chaussées, près du
Pont Neuf). Là, sur la plage, s'amarraient les grumes et s'empilaient des bois
de construction provenant des scieries. Cette industrie des bois flottants,
autrefois si prospère, disparut complètement vers 1870.
Mise à jour 03 mars 2011 : Selon des infos trouvées sur l'internet, le port de Quillan aurait vu partir 982 carras représentant un volume de bois de 5.758 m3, en 1860.
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